
Historique des confrontations homme-machine aux échecs
Qu’est-ce ce qui a rendu les duels homme-machine possibles… et attrayant ?
Pour rappel, de 1950 à 1972, la plupart des machines développées pour jouer aux échecs ont un niveau relativement faible et son incapables de lutter contre de bons joueurs de club.
Le défi scientifique
La création de machines pouvant rivaliser avec l’homme a pris du temps. Beaucoup de temps. Elle a également nécessité de conséquentes ressources financières. Mais dans quel but les ingénieurs se sont-ils échinés à concevoir le prototype d’une machine capable de rivaliser avec l’être humain au jeu d’échecs (ou plus récemment au jeu de go) ?
Les retombées médiatiques… d’un buzz planétaire !
Pour une firme transnationale comme IBM, la visibilité sur le marché international est primordiale. La publicité engendrée par une confrontation aux échecs entre l’homme et la machine assure des retombées médiatiques mondiales. Mais il y a un mais. Une condition sine qua none qui assiérait la crédibilité de la marque et justifierait un tel investissement : la machine produite par celle-ci doit être la première à battre un être humain. Pas n’importe quel humain : le meilleur joueur d’échecs du monde !

En 1996, il porte le nom de Garry Kasparov et le russe est invaincu en match officiel de championnat du monde depuis 1985. Un règne de plus de 10 ans ! Excusez du peu… la machine peut-elle réaliser l’exploit qu’aucun autre humain ne parvient alors à atteindre : battre Garry Kasparov aux échecs dans un match officiel ? Le monde entier a les yeux rivés sur ce match qui décidera du vainqueur entre l’homme et la machine ! Le symbole est là : le dernier représentant humain va-t-il faillir à la tâche ?
Les retombées financières suite à ce gros coup publicitaire
Suite à sa victoire lors du rematch de 1997 sur Kasparov, Deeper Blue a apporté plus qu’une victoire symbolique de l’homme sur la machine. Il a apporté la crédibilité de celle-ci sur la scène internationale. Désormais chacun sait que le produit d’IBM a défait le champion du monde incontesté des échecs. La machine a gagné, et IBM en tire rapidement profit. Les actions d’IBM grimpent en flèche et la firme va même battre son record en bourse après que Deeper Blue d’IBM a vaincu le champion du monde d’échecs Garry Kasparov. Ce qui fut un petit pas pour le supercalculateur, fut un grand pas pour la machine, et surtout pour IBM.
Une attente mondiale… et un changement de paradigme
Le monde a changé. L’avènement des IA (intelligences artificielles) récemment, ne fait que confirmer cette tendance. Petit à petit, les machines prennent le pas sur les êtres humains dans les domaines intellectuels. Les prédictions affirment que la plupart des métiers humains actuels seront remplacés par la machine d’ici quelques dizaines d’années. Cela a été rendu possible grâce au travail fourni par les pionniers de l’informatique.
Le jugement dernier a eu lieu. La machine a vaincu l’homme. Non pas sur un champ de bataille, comme l’avait imaginé James Cameron dans ses films Terminator, mais dans un domaine intellectuel représenté en l’occurrence par le jeu d’échecs, puis plus tard le jeu de Go.
L’histoire de l’affrontement homme vs machine commence d’ailleurs par un énorme canular.
Le turc mécanique :

Le turc mécanique représente un bonhomme assis sur une chaise devant une table sur laquelle est disposé un jeu d’échecs. Il est censé être un automate, jouant seul et sans aide extérieure. De nombreuses exhibitions verront le jour en Europe et en Amérique à la fin du 18eme siècle, et l’automate appelé le turc mécanique, affrontera de nombreux adversaires, dont des personnalités connues, comme Napoléon Ier et Edgar Allan Poe, et va jusqu’à jouer au Café de la Régence, célèbre rendez-vous du jeu d’échecs, à Paris.
Par la suite, l’homme domine facilement la création de silicium jusqu’à un 13 décembre 1989, qui marquera un tournant important dans le duel homme/machine.
La machine commence à battre l’homme aux échecs en 1989
Deep Thought, un ordinateur prometteur, bat pour la première fois un joueur titré en match officiel de parties classiques à Londres, en 1989. David Levy, maître international, s’incline sur le score sans appel de 4-0 face à la machine. C’est la fin d’une ère. Mais si cette machine peut battre à plate couture un joueur titré, quel résultat peut-elle espérer contre les meilleurs joueurs d’échecs du monde ?
Deep Thought vs Kasparov
2 parties d’exhibition opposent le champion du monde russe Garry Kasparov à Deep Thought - alors champion du monde des ordinateurs d’échecs – à l’académie des arts de New-York, en 1989. Kasparov gagne les 2 parties facilement. Il gagne la première partie avec les noirs en 52 coups et la deuxième avec les blancs en 37 coups.
Deep Thought vs Karpov
La machine affronte Anatoly Karpov à Harvard, en 1990, lors d’un match d’exhibition. Après une ouverture Caro Kann, Karpov - avec les pièces blanches - parvient à vaincre la machine en finale. Dénuée de sens stratégique, cette dernière ne se rend pas compte du danger que constituent les 2 pions passés du grand-maître russe. Celui-ci parvient à les pousser suffisamment pour assurer leur promotion dans un avenir proche. La machine s’incline au 65ème coup, sur la position ci-dessous.

Deep Blue vs Kasparov (en 1996 et match revanche en 1997)
Après une première large victoire de Garry Kasparov sur la machine, sur le score de 4-2 lors de leur premier duel, en 1996. Garry Kasparov accepte un match revanche, dès l’année suivante, contre Deep Blue, le superordinateur d’IBM.
Cette fois-ci, les choses ne se passent pas comme prévu. Le champion russe lutte pour faire jeu égal face à la machine mais s’effondre lors de la dernière ronde pour laisser la machine s’emparer de la victoire finale. La machine l’emporte alors finalement sur le score de 3.5-2.5 lors de ce match revanche de 1997 ! La machine bat pour la première fois le meilleur joueur d’échecs au monde lors d’un match officiel en parties classiques.

La fin du match… et le début de la controverse !
Tout d’abord, il convient de nuancer la victoire de la machine sur l’homme. En réalité, l’homme et la machine font jeu égal jusqu’à la dernière partie. Lors de celle-ci, Kasparov semble ne plus être au top de sa forme et commet des erreurs grossières dans l’ouverture, dont le h6 qui permet à la machine de placer le magnifique sacrifice Cxe6 !! Kasparov ne s’attendait simplement pas à ce qu’une machine puisse jouer un tel sacrifice à ce moment-là de la partie !
Plusieurs éléments font naître une suspicion de l’équipe de Garry Kasparov à l’encontre de l’équipe d’IBM. Certains coups curieux, joués par la machine, ne semblent pas pouvoir être choisis par cette dernière, à cette époque. En effet, la machine sacrifie rarement du matériel. Or la vision stratégique que celle-ci développe pendant le match est curieuse. En effet, elle n’hésite pas à sacrifier du matériel pour obtenir une initiative à long terme. Le coup Cxe6 !! est exceptionnel, par exemple. L’équipe de Deep Blue aurait-elle eu recours à une aide extérieure pour jouer ce coup ? Un book d’ouverture a-t-il été utilisé par la machine pendant le match ? Plusieurs fois, l’équipe de Deeper Blue explique certains coups de la machine par de simples « bugs ». Cette explication semble un peu simpliste et le doute demeure.
IBM n’a pas fourni les logs de la machine après son match contre le champion russe, contrairement à Deep Fritz face à Kramnik. Kasparov y voit une potentielle manipulation orchestrée par le géant américain. Et bientôt, d’autres éléments, en faveur des suspicions de Garry Kasparov et de son équipe, viennent entacher la victoire de la machine sur l’homme.
En effet, la machine a été démantelée rapidement et les 2 racks ont été désassemblés, puis présentés au public dans des musées, chacun de leur côté. IBM a refusé un match revanche pourtant proposé par Garry Kasparov, et ce malgré ses sollicitations répétées.

Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un gros coup médiatique qui met IBM au centre de l’attention, dans le monde entier. Beaucoup d’argent est en jeu. IBM réalise un record en bourse dès les jours qui suivent la victoire de son poulain. Nous pouvons alors légitimement nous poser la question suivante : jusqu’où IBM aurait pu aller pour gagner ce match ? Une série parle de cet évènement, nous en parlons dans cet article : Série Rematch sur Arte.
L’être humain peut-il prendre sa revanche face à la machine ?
Kramnik vs Deep Fritz 7 (2002)
La rencontre se solde par un match nul. L’homme parvient encore à rivaliser avec la machine sur un match officiel en parties classiques.

Kramnik vs Deep Fritz 10 (2006)
Kramnik est encore champion du monde en 2006. Il a battu Garry Kasparov lors du championnat du monde qui a eu lieu à Londres, en 2000. Il marqua ainsi la fin du règne de l’ogre de Bakou ! Il conserva son titre contre Peter Leko dans le championnat du monde qui suivit, en Suisse, en 2004. Cela étant, Kramnik est atteint d’une spondylarthrite ankylosante en 2005 et n’est donc plus vraiment au top de sa forme au moment d’affronter Deep Fritz. Son classement élo ayant d’ailleurs fortement diminué, il n’est plus que le 9ème joueur mondial en avril 2006. Cependant, le russe parvient à conquérir le titre de champion du monde unifié un mois avant d’affronter le programme.
De son côté, Deep Fritz est désormais monté sur un PC quadri-cœur et est capable de calculer 10 millions de coups à la seconde.

Le match se déroule en Allemagne, du 25 novembre au 5 décembre 2006. La machine l’emporte 4-2 dans un contexte particulier. En effet, Kramnik semble encore épuisé par son match contre Topalov pour le titre de champion du monde unifié, qui a eu lieu seulement un mois avant. Il oublie un mat en 1 coup dans une position équilibrée. 4 parties se soldent par une nulle tandis que la machine remporte les parties 2 et 6 avec les blancs.
A la grosse différence du match de Kasparov contre Deeper Blue, l’équipe de Deep Fritz s’est engagée à donner les analyses complètes de la machine après chaque partie jouée, ces analyses incluent alors les évaluations, ainsi que la profondeur de recherche, les temps de réflexion de la machine et les coups que celle-ci envisageait de jouer.
Cette nouvelle défaite de l’être humain face à la machine confirme que la machine a désormais définitivement pris le pas sur l’espèce humaine aux échecs. Plus tard, d’autres domaines verront la machine triompher. Cela précipitera inexorablement l’humanité vers une nouvelle ère : celle de l’avènement des machines, de l’intelligence artificielle. Nous pouvons alors nous demander quelle sera la place de l’homme à l’époque des machines ?
Sur la vidéo ci-dessous, Kasparov abandonne la sixième et dernière partie de son match revanche contre Deep Blue, donnant ainsi la victoire à la machine, le 11 mai 1997.